développement durable

Un projet ensemble

stéphane hirschberger , Architecte

L’habitat coopératif a le vent en poupe. Il souffle une brise seventies sur les envies de nos contemporains de construire ensemble, de faire à plusieurs, de ne plus déléguer leurs modes de vie à l’immobilier privé ou public.

Les « tribus internet », les réseaux sociaux, les colocs, le monde associatif en expansion participent à un nouveau socle culturel qui fait dépasser les cadres habituels d’échanges et de voisinage. Faire ensemble un projet adapté, partager des services, des équipements, développer une philosophie commune d’habitat, trouve aujourd’hui un écho particulier dans une société où les échanges, notamment immatériels, permettent d’envisager ce type de projet collectif.

Le Baugruppe – préférons ce terme allemand à autopromotion, parce que c’est là que ce dispositif a trouvé une nouvelle maturité – est un groupe de particuliers ou de familles qui, sans intermédiaire, conduisent une opération de construction, le plus souvent de l’habitat collectif. Un groupe peut réunir des habitants, des sociétés (par exemple H’Nord ou Darwin à Bordeaux), des artisans (l’Ecopôle de Ste-Foy-la-Grande en gestation) et peut é-ga-lement s’occuper de rénovation urbaine (Les Fourmis dans le Compteur à Gradignan).

Petit rappel, ailleurs et ici

L’histoire de l’habitat coopératif est longue. De l’effervescence politique et sociale des années soixante-dix, sont née des mouvements pour « l’habitat autogéré ». Puis un certain nombre d’opérations en France et à l’étranger se sont montées isolément jusque dans les années quatre-vingt.

C’est à partir des années quatre-vingt-dix que d’autres formes ont vus le jour dans des quartiers nouveaux en Allemagne, en Suisse, en Scandinavie et au Canada.

Cette émergence a de multiples causes mais l’arrivée aux commandes politiques d’une frange « alternative » de la société (Grünen, associations…) a été déterminante.

140 coopératives existent aujourd’hui dans les Quartiers Vauban et Rieselfeld à Freiburg-im-Breisgau, de nombreuses opérations sont en construction dans le quartier Burgholzhof à Stuttgart. L’exemple le plus frappant est Tübingen où le Quartier Français et le Loretto regroupent 160 Baugruppen soit 6 500 habitants sur 85 ha. Les projets se multiplient aujourd’hui en France : Strasbourg, Lyon, Aix…

Des besoins non couverts

L’intérêt des Baugruppen est qu’ils répondent à des besoins non couverts. Ils ne se substituent ni à l’offre de la promotion privée, ni à celle des offices de logement social mais, complémentaires, ils offrent une troisième voie disponible pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans les produits standardisés du marché, les « modes d’habiter » proposés, ou ne sont pas éligibles au logement social.

Ce « gap » culturel ou économique, devant un marché tendu, force la solidarité et l’ingéniosité. Penser le programme en amont (nombre et type de logements, intégration de logements sociaux, accueil d’activités), le faire évoluer, réfléchir ensemble à ce qui peut être partagé (espace polyvalent, buanderie, atelier, logements pour les amis), spécialiser les logements (pour des parents dépendants, pour des activités professionnelles…) rend le projet vivant et stimulant.

Le Baugruppe, c’est vivre le projet comme une aventure collective et non plus comme une attente passive.

Tous azimuts, l’engagement Une écologie sociale

Il y a chez la plupart des participants une forte volonté d’inscrire leur projet dans la ville. Ce ne sont plus des clients mais des acteurs, attentifs à la réussite de leur opération, à son inscription dans le quartier d’accueil. Leur engagement dépasse souvent le cadre de leur seul projet et embrasse des thématiques urbaines importantes : l’environnement et la construction durable, l’écologie urbaine, la mixité sociale, la vie de quartier, les relations entre voisins.


Un exemple 
 : le Village Vertical à Villeurbanne est une coopérative qui a inscrit dans son programme des logements pour jeunes travailleurs, une station Autolib’, des locaux d’activités en rez-de-chaussée. Adossée à une opération classique de logement social, la coopérative offre un complément programmatique que l’opérateur HLM Rhône-Saône-Habitat ne peut pas assurer.

Bottom up et up down Un outil de plus pour un projet urbain

Cette dynamique citoyenne et sociale aspire à exister pleinement, à participer à la fabrication urbaine. Souvent fragiles, impatientes, les associations, considérant leurs démarches comme vertueuses et légitimes, trépignent devant l’inaction publique. Comment les institutions en charge de la ville, à tous niveaux de responsabilités et de compétences, peuvent-elles répondre à cette demande : réservation du foncier, financement spécifique ?

La réponse se trouve dans la conviction que les Baugruppen- sont un « outil supplémentaire » d’un projet urbain clair et cohérent. Ils ne sont pas en soit une finalité mais un moyen de faire une ville plus riche, mixte et vivante. Cela implique un échange : les collectivités territoriales « accueillent » les groupes avec des structures publiques dédiées mais en retour les coopératives s’engagent dans les projets urbains tels qu’ils sont définis.

Tübingen souhaitait, dans le cadre de ses projets de nouveaux quartiers, que les rez-de-chaussée soient occupés par des activités commerciales ou associatives. Pour atteindre cet objectif, la Ville a considéré que les Baugruppen- étaient un dispositif plus souple et a donc conditionné l’attribution des permis de construire à l’intégration dans les programmes d’activités sur rue. Cette exigence s’est avérée d’une très grande efficacité.

Do-it-yourself ou faire faire L’architecte, au plus près

Un groupe de constructeurs peut décider de réaliser la construction : c’est le cas des Castors qui, comme à Pessac dans les années cinquante, ont rassemblé des « autoconstructeurs ». La difficulté de financement est compensée ici par l’apport-travail et la solidarité « manuelle ».

Un Baugruppe peut également passer commande à un architecte d’une mission de Maîtrise d’Œuvre, comme c’est le cas le plus souvent en Allemagne. L’architecte joue alors le rôle de médiateur auprès du groupe, aide à l’établissement du programme et conçoit un projet adapté. Il est à noter qu’Outre-Rhin une génération entière de jeunes architectes a accédé à la commande par ce dispositif.

Le travail de l’architecte est dans le cas des Baugruppen- particulier. Plus resserré autour de l’écoute et du service, il demande de la diplomatie et de l’esprit d’ouverture. L’architecte doit être au plus près du groupe, en comprendre les attentes mais aussi le former au projet, à l’architecture. Il ne s’agit pas de seulement retranscrire les envies de chacun mais de mettre en espace l’intérêt commun autour d’un projet partagé. Des défis renouvelés s’ouvrent à notre métier : attention à l’usage, ingéniosité des programmes, portage resserré, écologie pratique, économie des moyens.

Plus on est de fous, moins on paye

Un projet de Baugruppe coûte au m2 de 15 à 20 % moins cher aux futurs habitants propriétaires : pas d’intermédiaire ni de publicité, une mutualisation d’espaces de services, une transparence complète des coûts.

Cet écart de prix permet au groupe de s’offrir des prestations de meilleure qualité et plus pérennes, des espaces plus ambitieux, d’intégrer des dispositifs écologiques. Il permet en outre de mieux payer l’architecte, dont la séquence préalable de médiation est rémunérée.

Entendre et recevoir

Il y a cependant des inquiétudes feutrées à la réception de ces démarches : impressions d’incontrôle, craintes d’amateurisme, de revendications, d’expression de ressentiments.

Mais retournons le préjugé et considérons cette dynamique comme l’expression d’une envie de faire, d’agir ensemble, de s’engager dans une construction pleine de la ville. Reconnaissons ce modèle pour ce qu’il est : non pas une panacée mais un complément à ce qui fonctionne déjà, un outil de plus. Il y a donc nécessité pour tous à accueillir et promouvoir ces initiatives, à les considérer, à leur faire une place sans les craindre, avec lucidité et mesure.

n° 6 - mai 2010