Comment s’investir et bien vivre dans les territoires.

Nathalie Torrejon, architecte

Extrait de l’introduction Troisième temps d’Université Populaire — Festival de l’Éducation Populaire de Billère — 26 septembre 2021.
S’investir et bien vivre dans les territoires ne revient-il pas finalement à interroger la notion d’habiter un territoire. Habiter un territoire résume l’ensemble des pratiques réalisées par un habitant sur ce territoire : se loger, seul ou en groupe, travailler, se divertir, échanger, interagir… De fait, une même personne peut habiter plusieurs territoires : elle peut se loger dans un territoire, travailler dans un autre et se divertir dans un troisième. Si le fait d’habiter présente de nombreuses constantes entre les habitants d’un même territoire, certaines pratiques diffèrent d’un individu à l’autre. La prise en compte de l’ensemble des pratiques d’un territoire est donc indispensable si on souhaite qu’un projet soit réellement partagé et réponde véritablement aux besoins des populations qui l’habitent.

On pourrait donc penser que la participation des habitants, permettant de prendre en compte l’ensemble de leurs différentes pratiques sur un même territoire, est une réponse à notre question : comment s’investir et bien vivre dans les territoires. Mais ce n’est pas si simple…

Peut-on considérer que le fait même d’habiter un territoire est commun à l’ensemble des individus qui habitent ce territoire ? L’hypothèse sur laquelle s’est appuyée la réflexion du groupe Tomate1, consiste à considérer que l’habitabilité d’un espace implique une posture réflexive de la part de l’habitant. Ce n’est qu’à partir du moment où l’habitant habite en conscience qu’il est à même d’évaluer l’habitabilité de son environnement et du même coup, d’être en capacité d’en devenir un acteur agissant. Autrement dit, c’est ce qui permet à l’habitant d’être en capacité de s’interroger sur ses pratiques individuelles mais également pouvoir s’en détacher afin d’établir un commun qui pourra être partagé avec les autres habitants du même territoire. En partant de cette hypothèse, on peut arrêter ensemble ce que l’on nomme généralement la participation comme étant la mobilisation d’un habitant réflexif dans le processus de transformation ou de gestion de son environnement en vue d’en améliorer son habitabilité. Ce n’est donc pas tant l’injonction à participer qui va provoquer la mobilisation mais plutôt la capacité de l’habitant à adopter une posture réflexive sur son mode d’habiter, ce qui propulse l’habitabilité sur le terrain de la conception et de la maîtrise d’usage.

La posture réflexive serait donc la première clé d’un projet participatif réussi permettant de s’investir et bien vivre dans les territoires. Si cette posture réflexive est nécessaire, est-elle pour autant suffisante ? Je ne le pense pas.

Interroger ses pratiques, ses modes de fonctionnement, est une aventure complexe car elle touche à l’intime. Mais comment ne pas tenir compte de l’intimité d’une personne lorsqu’on s’intéresse à sa manière d’habiter son territoire ? Ce serait nier non seulement ce qu’elle est, mais aussi sa manière d’être au monde. Créer un projet participatif, c’est au contraire considérer tout être comme l’acteur principal de sa vie et l’accompagner dans sa propre construction. Et le projet participatif devient encore plus complexe quand il s’organise à l’échelle de l’espace public car il ancre la réflexion individuelle dans un projet collectif. Mais allons encore un peu plus loin… Serait-ce trop ambitieux de penser qu’un projet collectif participatif, en même temps qu’il se co-construit, contribue également à élever les membres de la cité, les citoyens ? Et là, on entre de plain-pied dans l’Éducation Populaire. L’individu est en même temps un être apprenant et un être sachant : il peut être l’auteur de ses propres découvertes, mais il peut également être celui qui transmet son savoir. On est en plein dans la pédagogie active, celle mise en œuvre depuis des décennies par les acteurs de l’Éducation Populaire. Et dire que certains pensent aujourd’hui qu’il s’agit d’innovation sociale…

n°54 - Printemps 2022