interview

Moi j’aime la Ville !

Discours de parrainage de l’Archipride du 4 avril 2014

C’est un honneur pour moi de parler devant les architectes d’Aquitaine.

Le temps de la Ville est long, le temps de l’Architecture est long, le temps de la politique 
est court. Ce qu’il faut changer, ce n’est pas le temps de l’Architecture, c’est le temps de la Politique.

La Ville du xxe siècle a été marquée par trois phénomènes successifs. La grande industrie 
a créé les grands ensembles, qui ont créé à leur tour les grandes surfaces. Le tout fonctionne avec l’automobile, mais dans une Ville sectorisée.

Vous avez les étalements pavillonnaires, les campus universitaires, les techno-pôles, les parcs de loisirs et… les entrées de Ville ! 
Dans ce pays magnifique, nous avons six cent entrées de Ville d’une qualité discutable. 
Partout la même non-architecture.

J’ai fait une proposition de loi pour reconquérir les entrées de Villes en 20 ans avec des règles s’appliquant à chaque fois qu’il y a changement de propriétaire. Faire que, peu à peu, s’installent des espaces verts, de la formation, des entreprises, etc. Mais ces mesures concrètes n‘ont pas été adoptées, car nombre d’élus ont considéré qu’elles étaient « contraires à la liberté des Maires et des collectivités locales. »

Vous êtes à côté de la cathédrale, vous avez UN volet qui n’est pas tout-à-fait de la couleur adéquate. L’architecte des bâtiments de France me dit : « c’est intolérable, ça porte atteinte au monument ».
Je comprends, c’est très bien de veiller à la qualité architecturale de notre patrimoine.
Autrefois, pour des raisons défensives et pour l’image de la Ville, on faisait très attention aux remparts, aux portes, à l’entrée de la Ville. 
Mais alors, Monsieur l’architecte des bâtiments de France, est-ce que vous trouvez normal que je découvre les tours de la cathédrale au milieu de cet infernal bric-à-brac d’entrée de Ville ?
Il me répond « Ce n’est pas de mes compétences ».
Certains endroits bénéficient de la dignité de la réglementation et d’autres sont voués à la prolifération du n’importe quoi.

Un jour, une chaîne de restauration vient me voir en tant que Maire pour s’implanter dans ma Ville. Il veut aller à l’extérieur, au bord d’une route.
Je lui demande pourquoi.
Il me dit : « c’est le concept ! »  
Il ajoute : « Et puis il y aura un toit vert, en pente. »
Je lui dis :
« Monsieur, vous êtes vraiment sympathique, mais vous ne savez pas encore où vous allez vous implanter. Vous ne connaissez pas le contexte architectural de l’ensemble, ce qu’il y a en face 
ou à côté, mais vous me dites qu’il y aura un toit vert en pente. »

Tout cela pour dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas, nous vivons dans un drôle de monde où l’Architecture et l’Urbanisme ne sont pas enseignés à tous, à l’école.

Il m’est arrivé de faire une avenue. Les habitants de la Ville voulaient y mettre des pavillons, et nous, des immeubles. Le pavillon, avec les éternels thuyas, correspond à une idée toute faite de l’Architecture. La densité est encore mal vue, par manque d’apprentissage.
On associe à la Ville tout ce qui est négatif : l’insécurité, la délinquance, la pollution, les embouteillages. On associe à la campagne tout 
ce qui est positif. Moi, j’aime les Villes…

J’ai souvent pensé qu’il faut un projet pour les Villes. C’est une des questions politiques principales qui se posent à nous.
Penser la Ville et l’Architecture du futur, préparer des formes nouvelles, la manière dont on pourra vivre ensemble dans cette architecture et ce paysage, c’est quelque chose d’absolument nécessaire et qui mérite qu’on y consacre son existence.

Hegel a dit une très belle phrase : « L’air de la Ville rend libre. »

Vous êtes des inventeurs de liberté et je vous 
en remercie.

Extraits de l’intervention de Jean-Pierre Sueur.
www.jpsueur.com

n°24 été 2014 (06)