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Gros oeuvre

Boubacar SECK, architecte , architecte

Il y a d’abord Sam. Il lui a fallu un quart de siècle pour venir à bout de sa maison, pour pouvoir rentrer chez soi, avoir la paix hors de la vue des autres. Parce qu’il ne veut pas de la maison standard, ni des financiers ni des professionnels de l’immobilier. Il n’a confiance à personne. Il mettra donc 25 ans, à l’image du facteur Cheval, pour avoir son nid.

Puis vient le Célibataire. À la foire de Paris, il est devant l’immense attroupement du rayon mobile home. Grâce à lui, on arrive à comprendre cette passion des mobiles homes comme certains visitent les châteaux de la Loire en s’extasiant devant les prouesses architecturales et esthétiques.
Akira, quant à lui habite Tokyo. Il scrute la ville qu’il ne trouve ni belle ni moche. Il vit dans une boîte de la célèbre Nakagin Capsule Tower. Un de ces greffons célibataires bétonnés. Il vit de bol de riz, de bière, d’open-space et de solitude. L’amour y sera fonctionnel et rapide. Il n’y a pas d’espace pour les sentiments et les émotions.

Dans ces récits, on croise aussi, un Jean-Pierre Raynaud, artiste mondialement connu. On y comprend pourquoi il est obsédé par le carrelage blanc cuit de 15x15 de la marque Villeroy et Bosch, modèle de base fréquemment utilisés dans les hôpitaux, asiles et morgues. Histoire d’une déconstruction que l’on retrouvera dans la nef du musée d’Art Contemporain de Bordeaux.

Viennent ensuite ces migrants, dépouillés de toute humanité, construisant des cabanes dans la « jungle » en bordure des zones industrielles de Calais ; un hommage original à Oscar Niemeyer, une vieille hétaïre genevoise fière d’avoir soulagé les peines et les dérèglements des hommes ; deux Parisiens illuminés qui fabriquent des maisons pour rien installées à des adresses fantômes pour les sans-abri de la capitale ; des jeunes architectes sponsorisés par Layher montent des échafaudages dans les dents creuses et les friches de Barcelone et de Paris créant ainsi des « républiques éphémères ».

« Gros œuvre » c’est treize récits de notre époque instable allant de l’illustre Gordon Mata Clark à Samir l’ouvrier perché qui squatte, le soir venu, les « algeco » de ses chantiers où il invente sa vie. Une même question posée treize fois différemment : qu’est-ce qu’habiter ?
Treize fois, comme le chiffre porte-malheur… ou bonheur ?

n° 7 - sept 2010