édito

Monsieur l’Architecte

Éric Wirth, président du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes d’Aquitaine.

J’ai fait un rêve : j’avais 26 ans, avec comme seul bagage ce que j’avais appris à l’école d’architecture, donc forcément beaucoup, mais assurément pas assez pour commencer à travailler, du-moins en mon nom propre. Et je me suis retrouvé à ma première réunion de chantier, entouré de vieux roublards du bâtiment, dont la moitié d’entre eux auraient pu être mon père. En tout cas, des gars qui avaient passé tout ou partie de mes 26 ans de croissance à forger et affiner une solide expérience de tout ce qui touchait à l’acte de bâtir, qu’il s’agisse de technique, de règlements, de gestion et d’encadrement des hommes.

Je me sentais forcément tout petit, comme on peut l’être dans un rêve, et encore plus effrayé, mais essayant de ne point trop le montrer. Dans cet espace clos vécu comme oppressant de la baraque de chantier, il y avait là aussi mon client, que je ne voulais pas décevoir, mon ingénieur, dans le rôle du sauveur dans ce monde hostile (il savait, lui !), et le contrôleur technique, que je percevais autant comme un censeur sans pitié que comme un allié potentiel. En tout cas quelqu’un d’utile.

On me réserva la place en bout de table, on m’écouta, je fus même surpris car certains prenaient des notes, je ne disais donc pas que des âneries. Et j’ai compris : personne ne me connaissait, personne n’était dupe ni de mon jeune âge, encore moins de mon inexpérience, mais j’étais l’architecte.

Je voyais du respect, non pas pour ma personne, mais pour la fonction que je représentais : pour les entrepreneurs, les compagnons, et surtout mon client qui restait très discret (c’était mon projet, mon chantier disait-il), et qui ne prenait aucune décision sans me consulter, j’étais « Monsieur l’Architecte ». J’étais ce magicien qui, à partir d’une feuille blanche, avec un simple crayon, a une vision qu’il est capable de partager et de mener jusqu’au bout pour la transformer en espace de vie appropriable.

Le rêve que j’ai fait, ce n’est pas ce que je viens de raconter, ça c’est mon histoire. Mon rêve, c’est que cette histoire redevienne celle de tous les architectes à qui on a ôté, en tout cas bridé, la force créatrice, à force de leur tenir le crayon, que ce soit le maître d’ouvrage, l’administration ou le spécialiste en ceci ou cela. Et comme celle-ci est bradée, on a aussi perdu le respect.

A nous, à chacun de nous individuellement, grâce à une formation initiale et permanente reformatée, de reprendre, le « pouvoir du crayon », en étant les meilleurs sur tous les sujets, et notamment techniques, économiques, réglementaires…

Bonne rentrée à tous, et Vive l’architecture.

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