cultures

L’équerre et la plume

Boubacar SECK, architecte , architecte

Nous avons presque tous vécu dans une architecture de Paul Andreu. L’homme des aérogares publie aussi des récits. Il n’est pas seulement un architecte qui écrit. C’est un écrivain. Après avoir construit de remarquables bâtiments dans plusieurs endroits de la planète, il revient vers la petite échelle de la maison pour ramasser sa pensée architecturale et ses souvenirs d’enfant.

Loin de la vague d’autofiction où les auteurs racontent leur ventre pour se soigner, il relate avec retenue une vie simple, éloignée des jet lag du grand architecte voyageur qu’il est. Il évoque la géométrie si particulière que créent dans leur mélange et leur évolution l’usage et l’émotion, cette géométrie subjective où les formes se dilatent et se compriment au cours du temps.

L’architecte, nostalgique, pose des questions que l’on croyait résolues pour toujours. « Pourquoi dans les constructions d’aujourd’hui avoir supprimé les couloirs, réduit au minimum les portes, rétréci les chambres à la taille des lits ? ». C’est vrai, pourquoi ? Il arrive, effectivement, que l’ouverture d’une porte bouleverse l’espace. Paul Andreu nous fait profiter de l’état des lieux de son âme et de l’état d’âme de ses lieux :
les territoires jamais tous explorés au dire des rêves, abandonnés à l’oubli bienfaisant, à la douceur de ce qui disparaît sous la poussière et la vacuité du temps. Les discussions et bavardages, les blessures des scènes de cris, le grand-père qu’on fait monter à l’étage assis sur une chaise après un malaise et qui redescend, les jambes devant, couché dans une boîte en bois que l’on vient de visser et sceller. Même quand il nous fait part d’un grand secret - de famille, bien sûr - qui pourrait être explosif ailleurs, il est d’une pudeur de petite fille. Il n’en tire qu’une leçon : « la différence est une chance, une charge, un devoir peut-être, au moins vis-à-vis de soi-même. »

n° 3 - juin 2009