cultures

Dater et signer un bâtiment

Marc Saboya, historien de l’architecture.

Quand, comment et pourquoi les architectes signaient leurs façades ?

Ces signatures apparaissent à Bordeaux à la fin du Second Empire, en même temps qu’une grande diversité des architectures. Ce phénomène va se renforcer au début du xxe siècle et totalement disparaitre dans les années quarante.

Rien n’indique une obligation, plutôt une volonté. Les architectes s’affirment ainsi comme des spécialistes du style qu’ils signent. C’est aussi une publicité, presque toujours avec la date et souvent le nom de l’entrepreneur, ailleurs sur la façade parfois côte à côte. Sur certaines maisons autour de 1900, l’architecte soigne la graphie de son nom, comme une véritable signature à la plume (maisons de l’architecte Monginoux), en cohérence avec le style de l’architecture, notamment art-déco.

Certaines devantures de magasins sont aussi signées, par des plaques de céramistes comme le fait le célèbre céramiste Paul Corrigé. On remarquera notamment les signatures de l’architecte Valleton, engagé dans l’architecture néo-gothique, ainsi que celles de l’architecte Cyprien Alfred-Duprat, sous la forme d’une plaque de bronze appliquée, très visible. La signature était une pratique plutôt urbaine, à Bordeaux, Arcachon, Bergerac, Périgueux, et dans la plupart des villes de la région. Elle permet de voir que les architectes construisaient beaucoup autour de leurs agences, souvent directement dans les rues adjacentes (voir les maisons de Adoue vers 1900 Barrière St Augustin à Bordeaux).

Aujourd’hui, la signature et la date sont devenues des obligations, qu’en pensez-vous ?

Je trouve ça très bien, c’est à mon sens une manière de redonner à l’architecture sa place dans les beaux-arts : elle rappelle que l’architecte n’est pas seulement un technicien, il est aussi un artiste et il a le droit de signer. Et en même temps, cela l’expose à la critique. Une manière de rappeler que l’architecte est un acteur citoyen qui crée la ville et doit, quelque part, rendre des comptes. Pour les passionnés et les historiens, ce sera un outil pédagogique formidable puisqu’il permet de mieux comprendre ou de conforter nos connaissances des parcours des architectes, au détour de promenades urbaines. On note que la signature de l’entrepreneur n’est pas de retour, peut-être serait-il pertinent de la recommander ainsi que celle des maîtres d’ouvrage professionnels, lorsque ces acteurs s’impliquent particulièrement dans la réussite du projet.

La méthode utilisée pour signer va-t-elle évoluer ?

Très certainement. Les matériaux de construction ont évolué et les signatures vont s’adapter. La signature gravée est intéressante car elle peut difficilement disparaître ou tomber. La signature en applique a l’avantage de pouvoir survivre à une dépose-repose, lors d’une réfection de façade ou une isolation par l’extérieur. Certains projets vont-ils être signés à la peinture à l’eau, pour ne pas laisser de traces ?...

308+ n°35 - PRINTEMPS- MARS 2017 - spécial loi LCAP
(PDF - 2.1 Mo)