juridique

Conseils pratiques pour recouvrer vos honoraires

Laurence Servat , directrice et juriste du CROA Aquitaine

Premier conseil évident mais utile à rappeler : concluez un (bon) contrat ! Si cela n’est pas toujours suffisant pour percevoir le paiement des prestations sans difficultés, l’absence de contrat crée de véritables embûches au recouvrement des honoraires.

Rappelons que la passation d’un contrat écrit est une obligation déontologique (article 11 du décret du 20 mars 1980 portant code des devoirs professionnels des architectes). Toutefois, en droit civil, le contrat se forme par le seul échange des consentements entre les parties ; c’est pourquoi les tribunaux admettent régulièrement un droit à rémunération même en l’absence de contrat signé. Néanmoins, des problèmes de preuve (quelle mission ? quel montant ?) se poseront. La jurisprudence valide des « commencements de preuve par écrit » tels que le dépôt de la demande de permis de construire signée du maître d’ouvrage, l’utilisation par le client des prestations fournies, des échanges de courriers sur le projet, etc. Mais rien ne vaut un bon contrat : utilisez les modèles élaborés par l’Ordre des architectes, téléchargeables sur www.architectes.org.

Très important : prévoyez dans votre contrat, ou en annexe, une description rapide du programme (surfaces, nombre de pièces, particularités principales…). Cela vous permettra, en cas de modifications demandées par la maîtrise d’ouvrage, de pouvoir expliquer l’augmentation du coût des travaux inhérente à ces modifications, d’alerter (par écrit) votre client sur le surcoût entraîné par ses décisions, et de calculer votre rémunération en proportion.

Un client vous doit des honoraires, que faire ?

Si votre demande d’honoraires est échue (les prestations correspondant à la facturation sont réalisées), et si elle est exigible (l’éventuel délai de paiement prévu au contrat est expiré), alors vous êtes en droit d’en réclamer le paiement. A défaut de règlement, la première démarche à accomplir est de relancer votre client, d’abord de façon simple et courtoise mais écrite (un courrier ou courriel permet de laisser une trace en cas de contentieux ultérieur, et n’empêche pas bien entendu un appel téléphonique). Rappelez lui que le délai contractuel de paiement est passé, qu’il a reçu les prestations depuis plusieurs semaines, qu’il les a validées (expressément, ou en déposant la demande de permis de construire en mairie, ou en confiant votre DCE à des entreprises, etc.) et qu’en conséquence, rien ne s’oppose à la rémunération de votre travail. Facturez les intérêts moratoires s’ils sont prévus dans votre contrat.

Si cette relance simple ne produit pas les effets attendus, adressez à votre maître d’ouvrage, par courrier recommandé avec accusé de réception, une mise en demeure de payer sous huitaine ou quinzaine (par exemple). Précisez qu’à défaut, vous saisirez votre service juridique ou votre service contentieux ou le tribunal compétent.

Dans le cas où votre maître d’ouvrage laisse cette mise en demeure sans suite, vous êtes en droit de résilier votre contrat dans la mesure où le client ne respecte pas ses obligations contractuelles (cette possibilité doit être prévue dans le contrat conclu avec lui – voir article G.9.2 des modèles de l’Ordre – et annoncée dans votre mise en demeure). De même, et toujours si votre contrat l’envisage (voir article G.7 des contrats ordinaux), vous pouvez suspendre votre mission et majorer votre rémunération de 10%.

Dans certains cas, le maître d’ouvrage peut être amené à abandonner le projet, pour des raisons qui n’incombent pas à l’architecte, et donc à interrompre la mission de celui-ci. Dans cette situation de rupture du contrat, vous pouvez facturer une indemnité de rupture si elle est prévue dans votre contrat (voir article G.9.1 des contrats de l’Ordre). Evidemment, les prestations réalisées au jour de la résiliation sont également dues.

Votre mise en demeure reste sans effet : vous pouvez saisir l’Ordre qui interviendra à l’amiable auprès de votre client. Si vous avez utilisé un modèle de contrat de l’Ordre, cette saisine est obligatoire avant toute procédure judiciaire (article G.10) sauf mesures conservatoires telles que l’inscription d’une hypothèque.

Pour saisir l’Ordre, vous devez adresser un courrier au Président du Conseil de l’Ordre lui demandant d’intervenir pour le paiement de vos honoraires. A l’appui de cette requête, vous joindrez copie de votre contrat, des notes d’honoraires, des courriers de relance et autres échanges épistolaires avec votre client, ainsi que de toutes pièces susceptibles d’éclairer le Conseil de l’Ordre sur le dossier.

Le Conseil de l’Ordre écrit alors au maître d’ouvrage pour connaître sa position, puis rend un avis sur la demande d’honoraires. Dans quelques cas particuliers, une réunion de conciliation peut être organisée entre les parties.

La majorité des litiges dont le Conseil de l’Ordre est saisi (pour information en Aquitaine : 132 dossiers en 2007, 102 en 2008) aboutissent à un règlement amiable. En cas d’échec, les parties pourront faire valoir leurs droits en justice. Si vous avez souscrit une « protection juridique » auprès de votre assureur, ce sera le moment de l’actionner pour la prise en charge des frais de justice.

Sort des honoraires en cas d’allongement du délai de chantier

Il n’est pas rare que le planning de chantier soit prolongé, parfois de façon conséquente, en raison de retards imputables à une ou plusieurs entreprises intervenant sur le chantier. Il est alors totalement injuste que l’architecte suive les travaux pendant ce délai supplémentaire sans rémunération. Il ne serait pas juste non plus de faire supporter le prix de ce retard au maître d’ouvrage.

Prévoyez donc dans le CCAP des marchés des entreprises qu’en cas de dépassement des délais d’exécution du fait de l’entrepreneur, l’architecte a droit au versement d’honoraires additionnels pour lui permettre de prolonger son temps de présence sur le chantier. Le montant de cette rémunération supplémentaire sera alors directement déduit du marché de l’entreprise responsable.

Le maître d’ouvrage devra être informé de ce dispositif (voir article G.5.7 du cahier des clauses générales établi par l’Ordre des architectes – contrats privés).

La protection des emprunteurs dans le domaine immobilier : attention au piège !

Dans le cas où le maître d’ouvrage sollicite un prêt bancaire pour financer son opération de construction ou de rénovation, il bénéficie d’une protection spéciale : en cas de refus du prêt, les sommes versées à l’architecte devront être remboursées au client. Ce dispositif est prévu par l’article L312.2 du code de la consommation pour les dépenses de construction, réparation, amélioration ou entretien d’un immeuble à usage d’habitation ou à usage d’habitation ET professionnel, à partir de 21.500 €.

Si le maître d’ouvrage n’a pas recours à un prêt, l’architecte doit obligatoirement lui faire noter une mention manuscrite dans le contrat :

«  Je soussigné, .............(nom et prénom), maître d’ouvrage, déclare ne pas demander de prêt pour la réalisation de cette opération et reconnaît avoir été informé des conséquences de ma renonciation et notamment du fait que, si je recourais néanmoins à un prêt, je ne pourrais me prévaloir du bénéfice des dispositions protectrices du Code de la consommation relatives au crédit immobilier  » (art. L. 312-17 du Code de la consommation).

Conseil : si le maître d’ouvrage a bien recours à un prêt, l’architecte doit s’abstenir de travailler pendant la durée de la condition suspensive d’octroi du prêt (un mois minimum) : ainsi, si le prêt est refusé, il n’aura pas travaillé pour rien.

Les honoraires en promotion privée

Certains promoteurs proposent aux architectes d’établir des études quasi-gratuitement (paiement très tardif à l’obtention du permis de construire, voire au démarrage des travaux) ou même gratuitement tout court (clause annulant toute rémunération si l’opération ne se réalise pas) !

Ces clauses sont inacceptables économiquement parlant, mais également du point de vue juridique. Notamment lorsque le paiement des honoraires est conditionné au dépôt du permis de construire ou au démarrage des travaux. Il s’agit de conditions potestatives, c’est-à-dire qui ne peuvent se réaliser que sur le bon vouloir d’une des parties, en l’occurrence le promoteur. Précisément, la condition potestative est celle qui fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher (article 1170 du code civil). Or, toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige (article 1174).

En outre, l’architecte est un prestataire de services qui fournit une prestation, laquelle doit être rémunérée. Il ne doit pas travailler « à risque » comme le promoteur : ce n’est pas le même métier. D’ailleurs, certains de ces maîtres d’ouvrage pro(im)posent à l’architecte un partage des risques, mais pas le partage des bénéfices quand l’opération se réalise !

n° 3 - juin 2009